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Considérations actuelles et tempestives

Supprimer les notes ou repenser l'école ?

19 Décembre 2014, 20:56pm

Publié par Pascal Jacob

Supprimer les notes ou repenser l'école ?

Cette rumeur est du pain béni pour les polémistes et agitateurs de tous poils. Il suffit de prêter à ce gouvernement, qui en effet se reconnaît à ce qu’il ose tout, les intentions les plus absurdes pour « faire le buzz ».

Le 20 novembre 2014, le Conseil Supérieur des Programme a achevé son rapport sur « l’évaluation et la validation de l’acquisition du projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture ». Ce socle commun, évalué en vue du Brevet, « rassemble l'ensemble des connaissances, compétences, valeurs et attitudes nécessaires pour réussir sa scolarité, sa vie d'individu et de futur citoyen. »

C’est le collège qui est concerné. Qui lit bien verra qu’il s’agit de réfléchir sur l’évaluation, et non de décider une suppression des notes, une note n’étant qu’un outil d’évaluation parmi d’autres. Il ne s’agit pas de supprimer les notes mais de mieux évaluer. Évaluer quoi, et comment ?

Le rapport distingue les moyennes et les notes chiffrées.

Evaluer un élève par sa moyenne est facile, mais au fond absurde. Cela revient à penser qu’un 17 en sport compense un 3 en mathématiques, et que par conséquent l’élève vaut un autre qui aurait 3 en sport et 17 en mathématiques. La moyenne ne tient compte ni de la progression, ni de la différence existant entre les matières. Pire, elle nous contraint à insulter les matières, en affectant des coefficients : « votre enfant ne sait pas s’exprimer mais ce n’est pas grave, la philosophie en série S compte deux fois moins que les mathématiques. »

Prenons un exemple simple : quand nous sortons d’un restaurant, nous ne l’évaluons pas au moyen d’une une note chiffrée, ni en faisant une moyenne entre la décoration, le goût des aliments et la qualité du service. Nous suggérons des améliorations, nous validons ou nous ne validons pas.

La note chiffrée renvoie à une mesure exacte. Mais que mesure-telle ? Mesure-t-elle une performance, ou l’écart entre une performance et une attente ? Baissez l’attente, vous augmenterez la note. Notre passion très cartésienne pour l’exactitude nous fait passer à côté de la vérité de ce que nous cherchons à évaluer. L’évaluation de ce qui n’est pas quantitatif ne saurait se satisfaire d’un chiffre, et c’est pourquoi on peut se réjouir que le rapport invite à « un travail collectif au sein des équipes éducatives au service d’une conception renouvelée de la notation ». Comment évaluer l’investissement d’un élève, son sens de l’effort, sa progression ? Prétendre tout noter est aussi absurde que le serait de supprimer les notes.

Remontons à la source : L’École s’est soumise progressivement à une logique étrangère à sa véritable mission. Créée à l’origine pour transmettre une culture universelle qui permette à l’enfant de devenir un homme libre, l’École a été progressivement réduite à deux fonctions idéologiquement marquées : arracher l’enfant à sa famille pour en faire un individu purement rationnel chez qui la loi républicaine tienne lieu de conscience, et lui donner des « compétences » qui lui permettront de s’inscrire dans des mécanismes économiques qui ne relèvent pas de sa décision, autrement dit une formation professionnelle. Les mathématiques, la science des chiffres et de la maîtrise du monde, en est naturellement le dénominateur commun, au détriment des Lettres, coupables de fabriquer des « originaux ».

Notre système d’évaluation scolaire est tellement lié à nos représentations socio-économiques qu’il est illusoire de vouloir en changer tant que ces représentations demeurent et que l’Ecole ne se replace pas devant sa finalité de transmettre une culture commune.

Ne tirons pas sur l’ambulance, mais soyons nous-mêmes au clair : Voulons-nous pour nos écoliers d’abord un enseignement « qui rapporte » dans le monde économique, ou bien voulons-nous la culture qui fait des hommes libres ? Passée de la transmission d’une culture, mesurée par une fécondité intellectuelle inchiffrable, à la sanction de comportements mesurés par l’écart au comportement attendu, l’École se cherche. Aidons-là à se retrouver.

Le problème de l’éducation est donc de savoir quel monde transmettre, et de le transmettre : « Dans le monde moderne, le problème de l’éducation tient au fait que par sa nature même l’éducation ne peut faire fi de l’autorité, ni de la tradition, et qu’elle doit cependant s’exercer dans un monde qui n’est pas structuré par l’autorité ni retenu par la tradition » (Arendt) – Dans le monde des technologies nouvelles, ce sont les adultes qui sont en retard sur les enfants.
Il en résulte que, premièrement, […] le rôle de l’école est d’apprendre ce qu’est le monde » qui est plus ancien qu’eux (rapport à la tradition) « et non pas de leur inculquer l’art de vivre » , et deuxièmement « qu’on ne peut éduquer les adultes », ce qui est l’ambition de la transformation du politique en social, « ni traiter les enfants comme de grandes personnes » c’est-à-dire penser que le monde des enfants se suffit à lui-même, mais qu’il n’a de sens que s’il tourne les enfants vers le monde des adultes.
On voit bien ce que cela pourra signifier pour l’école. Il s’agit pour elle de former des personnes libres, c'est-à-dire dont l’intelligence bien formée peut éclairer la volonté, capables pour cela de s’inscrire dans le monde politique.

P. Jacob, L'école, une affaire d'Etat ?, Fleurus 2008

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