Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Considérations actuelles et tempestives

École, Famille et État : Ménage à trois ou drôle de guerre ?

16 Décembre 2016, 16:15pm

Publié par Pascal Jacob

I. L'éternel problème de l'école : les éléments d'un conflit

1. Chacun aurait sa propre histoire, qu'il soit enseignant, parent, ou ministre.

Tentons d'en saisir quelques éléments invariants. D'un côté, les parents sont convaincus que, puisqu'ils sont les parents, ils ont des droits : mais dans quelles limites ? Les professeurs doivent-ils répondre à toutes leurs exigences ? Qu'ont-ils à dire sur la pédagogie, les méthodes, les contenus ? D'un autre côté, les professeurs se considèrent comme des professionnels de la transmission des savoirs, à qui les parents n'ont pas à apprendre leur métier. Mais peuvent-ils négliger la volonté des parents, que la loi reconnaît comme premiers responsables ? Enfin, l'Etat paie les enseignants, établit les programmes, et impose la scolarité obligatoire, voire la carte scolaire. Cela fait-il de l'Education un service public, ou seulement un service rendu aux familles ?Ce service s'etend-il seulement aux savoirs fondamentaux, ou bien aussi à l'éducation civique, sexuelle, religieuse...

2. Ce qui attise le conflit :

1. D'abord des conflits scolaires : Les attentes des parents vis à vis de l'école comme ascenseur social, dans une attitude parfois clientèliste : le droit à la réussite, et pourquoi pas le droit aux bonnes notes. Un bon lycée, est-ce celui qui a de bons résultats, ou celui qui laisse sa chance à chacun ? Quelle part ont respectivement l'élève et le lycée dans la réussite ou l'échec ?

2. Le manque de reconnaissance des enseignants, qui ne sont plus en état de monopole du savoir (internet, écart entre les savoirs utiles professionnellement et les savoirs transmis), et qui sont sommés de transmettre un savoir utile au monde économique. L'idée d'une culture gratuite, qui ne se monnaye pas, n'a plus la cote.

3. Les conflits non-scolaires importés à l'école :

1. conflits de cultures et d'identités

2. conflits de religion et laïcité

3. Plus profondément, une crise de l'intelligence

1. crise de la culture, et donc de l'éducation. Ce qui a présidé à la création des universités, comme le nom l'indique, c'est la conviction que la culture réunit les homme dans ce qui est universel, la culture est devenu ce qui identifie les groupes en donnant à la différence une légitimité absolue. Or le relativisme culturel, au nom de la tolérance, conduit à considérer la culture non plus comme une élévation de l'esprit mais comme ce qui fonde une manière de vivre. L'idée d'une culture universelle est contestée au nom du droit à la différence, qui tend à un droit de la différence.

2. crise de la transmission, et donc de l'autorité. D'abord parce que la culture ne vaut plus en soi, mais aussi parce qu'une certaine idéologie du progrès nous habitue à penser que ce qui est passé est dépassé. Ainsi le registre n'est plus celui du vrai et du faux, mais du jeune et du vieux.

3. crise de l'histoire, et donc de l'identité : Les pages sombres de notre histoire reviennent nous hanter et attisent notre mauvaise conscience. Sommes-nous héritiers des esclavagistes et du régime de Vichy ? Pouvons-nous faire valoir un droit d'inventaire au risque de créer nous-mêmes notre histoire, ou bien devons-nous assumer une culpabilité historique que nous condamnons ?

 

 

[1] Prpos de Patrick Le Lay, alors PDG de TF1, retranscrit dans Les dirigeants face au changement, éd. Du huitième jours, 2004. On lira avec profit sur ce sujet les livres de François Jost, notamment L'empire du loft ou Comprendre la télévision.

École, Famille et État : Ménage à trois ou drôle de guerre ?

 

II. Le fond du problème : le contexte volontariste

1. La nature du volontarisme

1. Son origine théologique : en Dieu, dit Guillaume d'Occam, la volonté l'emporte sur la sagesse. Sa liberté souveraine a non seuement créé toutes les vérités, mais aussi a décidé du bien et du mal. Le vrai et le bien sont donc arbitraires, puisque la volonté de Dieu est souveraine.

2. La liberté comme souveraineté : Les philosophes du 17e siècle vont étendre cette conception à la liberté humaine : être libre, c'est obéir à une loi que l'on s'est donnée, et non à une loi que l'on recevrait de Dieu ou de la nature. C'est le sens de l'autonomie. L'homme libre est celui qui accomplit ses désirs, et l'accomplissement des désir est le bonheur. La technique, en donnant à ma volonté la puissance d'accomplir mes désirs, doit me rendre du même coup heureux.

2. Sa traduction sociale : La traduction social du volontarisme, c'est d'abord que la volonté de l'individu est sacrée : ma liberté s'arrête là où commence celle des autres, mais pas avant.

Elle n'a pas de contenu ni de sens (on n'est pas libre pour...), mais seulement une limite qui est la liberté d'autrui.

Moralement, cela conduit à parler en terme de valeurs, et non plus de biens. Car la valeur d'une chose, terme économique, dépend de l'intérêt qu'on lui porte (la demande) : exemple : la valeur d'un baril de pétrole). La valeur est subjective, elle vient de la volonté d'un sujet. La notion de bien signifie la perfection objective d'une chose qui s'impose à ma volonté.

Politiquement, l'accord des volontés est la source de la loi, sous le nom de “volonté générale”. Dire que la volonté générale est souveraine, c'est dire qu'elle n'a aucune limite. Les plus nombreux ont raison parce qu'ils sont plus nombreux, non parce ce qu'ils veulent est bon.

3. Sa réalité dans notre problème

1. Le volontarisme conduit à partir de ce que nous voulons comme source du droit. Ce que je veux est légitime tant que je n'empiète pas sur la volonté d'autrui. C'est donc un équilibre des forces qu'il faut réaliser.

2. Dans La défaite de la pensée, Alain Finkielkraut démonte admirablement le mécanisme par lequel, au nom de la tolérance et de l'antiracisme, on s'interdit aujourd'hui d'évaluer un comportement sous le prétexte qu'il est « culturel ». On soutiendra ensuite que la liberté humaine exige que l'homme définisse lui même, seul ou collectivement, ses fins et ses lois. C'est le dogme que Rousseau a su établir si fermement que nous avons du mal à concevoir que la volonté générale peut se tromper et que le vote ne résoud pas tout. Or cette idée de l'infaillibilité démocratique, politiquement contestable, devient une pure folie lorsqu'elle est transposée à l'école et que l'on demande aux membres de la « communauté éducative » de voter certaines décisions, en particulier lorsqu'elles conduiraient à renoncer à la transmission du savoir. Là encore, cela tient au fait que l'on s'obstine à partir de la volonté individuelle ou collective, et non de la nature même de l'école.

 

 

3. Dans la présente discussion, les trois institutions en cause ne sont pas, de ce point de vue, un objet simple. L'Etat, la famille, et l'école ne sont en effet ni tout à fait des réalités de la nature, ni absolument produites par le vouloir humain. L'avantage de dépasser une position volontariste serait d'être capable de déterminer ce que leurs relations devraient être, sans en rester à une description sociologique de ce qu'elles sont effectivement, ni à un stérile conflits des volontés qui se termine infailliblement par la victoire du plus fort.

Pour dire les choses simplement, nous voudrions montrer que l'école est une institution qui a sa raison d'être dans la subsidiarité de l'Etat auprès des familles, et dont la finalité est d'abord à chercher dans la nature de l'enfant en tant qu'il vient au monde. Le détour par la famille et par la société politique est donc nécessaire pour comprendre la nature de l'Ecole, sans quoi on risque de ne la comprendre que comme un instrument du pouvoir politique

 

École, Famille et État : Ménage à trois ou drôle de guerre ?

III. Sortir du volontarisme

Sortir du volontarisme, c'est redonner à l'intelligence un droit fondamental qui tient à sa nature : dans la mesure où l'intelligence est notre capacité de connaître la réalité, sa fonction est d'éclairer la volonté. Le volontarisme est sans boussole, tant que l'on renonce à reconnaître qu'il y a dans les réalités humaines (ici la famille, l'Etat et l'école) quelque chose dont nous ne sommes pas les auteurs, que l'intelligence peut connaître mais qui n'est pas le fruit de notre volonté.

Quelle est d'abord la nature de la famille ?

- La famille est un sujet difficile à aborder, parce que l'on confond souvent telle ou telle forme historique qu'elle a pu prendre avec sa réalité profonde. Du point de vue de sa nature, c'est à dire de ce qui la définit et qui ne dépend pas de nous, elle est une société fondée sur l’altérité sexuelle, en tant que cette altérité est par elle-même ordonnée à la venue de l’enfant. Elle tient donc de ce qu’elle est, et non du droit positif, sa responsabilité et sa primauté dans l’éducation de l’enfant. Même si sa création repose sur le consentement d'un homme et d'une femme, sa structure intime ne dépend pas de la volonté humaine, parce qu'elle repose sur la nature sexuée de l'homme et de la femme, sous le rapport de laquelle ces derniers sont en l'occurrence en relation. Parce que cette relation est de sa nature susceptible de donner la vie, dans un acte libre, l'homme et la femme ont la responsabilité de conduire l'enfant qui naît de leur relation jusqu'à l'âge adulte, âge auquel il peut à son tour fonder une famille. Et parce que cet acte d'engendrer est libre, et non pas socialement commandé, ils en ont la responsabilité : la société familiale ne reçoit pas de l'Etat cette responsabilité mais elle l'exerce de plein droit.

La difficulté que nous avons à concevoir cela est que, bien souvent, nous considérons qu'il n'y a de société que politique, et que toute autorité procède de la loi. Or la famille est une société naturelle et non politique, parce qu'il appartient à la nature de l'homme de naître d'un homme et d'une femme, et d'avoir besoin d'une éducation. Et d'autre part, le fait que la naissance d'un enfant procède d'un acte profondément humain par lequel un homme et une femme forment « une seule chair » interdit de les considérer comme de simples « reproducteurs » à qui il faudrait au plutôt retirer l'enfant. Que la famille aujourd'hui évolue, dans sa forme historique, ou qu'elle se fragilise ne change rien à cette réalité élémentaire : la société politique n'a pas son principe en elle-même, mais dans une société non-politique qui a une structure propre. C'est aussi la raison pour laquelle toute “évolution” n'est pas possible : je ne peux appeler “famille” une société qui ne serait pas fondée sur la différence sexuelle. Devant la famille, la société politique se trouve face à une société dont elle n'est pas l'origine, et dont elle doit reconnaître les prérogatives bien qu'elle ne l'ait pas produite.

Qu'en est-il ensuite de l'Etat ?

- L'Etat, de son côté, est l'autorité dont se dote une société politique, c'est à dire une communauté d'hommes libres et égaux, mais il est utile de se rendre compte que la société politique n'est pas non plus entièrement le fruit de la volonté humaine. Du point de vue qui nous intéresse, l'une de ses fonctions est de traduire dans le droit positif les exigences qui s’attachent à la nature même de la personne humaine, au service du bien commun. Il s'agit ici, pour l'école, de l'exigence de formation en vue de devenir adulte.

Il est une autorité que se donnent des hommes libres et égaux, qui naissent dans une familles et forment des familles avant même d'être citoyens. Il n’est donc pas l’éducateur de la Nation, mais il est au service de responsabilités qui sont celles des familles.

Et enfin, quelle est la nature d'une école ?

- L'Ecole, enfin, apparaît facilement, du point de vue de sa nature, comme une institution qui découle de la responsabilité qu’ont les parents de donner à leur enfant l’éducation dont il a besoin.

Sa mission est d’élever l’enfant à une culture dont l’universalité, au-delà des particularismes familiaux et nationaux, est celle de l’humanisme authentique. Ainsi, il peut entrer dans le monde des hommes. Cette « mise au monde » fait de l'Ecole un lieu de transition et de transmission entre la famille et l'Etat.

Quelle collaboration ?

Penser la relation entre famille, École et État suppose de reconnaître leur nature spécifique, et pour cela de renoncer à l'illusion selon laquelle l'homme est l'auteur de toute réalité.

Ce préalable étant posé, cette relation à trois suppose en particulier un triple reconnaissance de la part de l'Etat :

D'abord que la famille est une société non démocratique, dans laquelle l’autorité légitime détenue par les parents a sa source dans le fait d’avoir donné la vie aux enfants, et non dans une volonté politique.

Ensuite, il s'agit de reconnaître que la mission de l’école, déléguée par les parents au service d’une partie de l’éducation de l’enfant, n’est pas soumise à sa volonté législatrice. Il s’agit pour l’État de renoncer à instrumentaliser l’école, même pour d’excellentes intentions, car l'’école n’est pas une institution créée par l’État pour s’intégrer des enfants qui, sans cela, n’existeraient pas. Elle est d’abord un droit naturel de la famille, qui répond ainsi au droit naturel de l’enfant à recevoir une formation. L’État se trouve là au service d’une finalité qui n’est pas définie par lui, et qu’il a à reconnaître comme découlant de la nature de la famille et de l’enfant.

Enfin l’État doit reconnaître que la citoyenneté n’est pas l’accomplissement ultime de l’homme, autrement dit que la dignité de la personne humaine tient à sa nature, et non au fait que la loi lui reconnaisse ou non une existence juridique. Ainsi doit-il renoncer à faire de l’école l’instrument par lequel il conforme le comportement des futurs citoyens, même avec les meilleurs intentions du monde.

L’une des clés de compréhension du rapport entre ces trois réalités est l’altérité – soit le caractère de ce qui est autre. Elle s’impose sans cesse comme un donné qui n’est pas le fruit de notre volonté, mais qui structure pourtant tout notre rapport à la réalité et au monde. Altérité sexuelle d'abord, au fondement de la société conjugale. De cette altérité naît l’enfant, qui est lui-même autre que ses parents. Il est capital que les parents non seulement comprennent cette altérité de l’enfant, qui est autre qu’eux-mêmes, autre que les ambitions qu’ils ont sur lui, de même qu’il est fondamental qu’ils acceptent que l’enfant aille faire, à l’école, l’épreuve d’une autre altérité. La maîtresse d’école est autre que la maman, la classe autre que la maison.

Cette altérité est la source d’une différenciation nécessaire à la construction d’une identité.

L’école, qui tient son nom d’un mot grec qui signifie « loisir », n’existe que par la possibilité de suspendre un temps les activités nécessaires à la vie, et de créer un espace vide dans lequel, avant de faire son entrée dans le monde des adultes, l’enfant forme en lui son humanité au moyen de la culture.

Ce vide n’est pas absolu puisqu’il s’ouvre à partir de la famille, mais il permet l’apparition de cet être nouveau et irremplaçable qui s’y forme. C’est un espace qui apparaît à partir de la famille qui reconnaît qu’elle n’est pas le tout de l’humanité.

Déjà à l’école, l’homme quitte d’une certaine manière son père et sa mère pour y accéder à un savoir plus ancien que lui par lequel il peut comprendre le monde qui l’entoure et qu’il aura lui-même la charge de transmettre aux générations futures. Les parents, qui forment la société conjugale dans laquelle est apparu l’enfant, ont les premiers la responsabilité de cette transmission, qui achève ce qu’eux-mêmes ont commencé en lui donnant la vie. Ils ont donc la tâche délicate de laisser se créer cet espace vide sans le remplir eux-mêmes, et donc en permettant à l’enfant de devenir ce qu’il est.

De son côté, l’État intervient pour organiser cet espace commun qu’est l’École, mais la tentation pour lui est grande de se prendre lui-même pour l’universel que cet espace est fait pour accueillir et transmettre. Ce qui est en jeu ici est la toute-puissance du politique, à laquelle il lui faut faire l’effort de renoncer pour reconnaître d’une part la légitimité de l’autorité non politique des parents, et d’autre part que la citoyenneté n’est pas le tout de l’humanité.

Nous avons voulu indiquer en quoi la collaboration entre ces trois acteurs supposait une reconnaissance commune de ce qu'ils sont, parce que se définir, c'est tracer des limites à partir desquelles l'autre peut exister, et c'est aussi renoncer à être soi-même le tout.

Dire que l'Ecole est aujourd'hui à la recherche de ses limites est un euphémisme. Son immiscion dans des domaines éducatifs qui sortent manifestement de ses attributions, comme l'éducation sexuelle, en est un exemple au même titre que les blocages autour des questions de laïcité. On voit ici le rôle central et délicat de l'Etat. Il lui appartient de protéger la culture de toute mainmise d'un pouvoir, fut-ce celui de l'Etat lui-même - c'est là le sens de la laïcité – mais aussi de garantir à l'enfant l'accès à cette culture dont il n'est pourtant pas l'artisan. Or pour cela, il est évident que c'est la plus fragilisée de ces institutions qu'il faut soutenir, à savoir la famille.

 

Concluons en ouvrant quelques pistes concrètes, sans faire l'impasse sur les conditions concrètes dans lesquelles l'école existe.

Parmi ces conditions, l'une des plus importantes est sans doute que la transmission des connaissances et la formation d'une culture n'a plus aujourd'hui comme vecteur exclusif l'école. Les médias en général, l'apparition d'Internet en particulier font intervenir un acteur « éducatif » qui n'est maîtrisé par aucune autorité légitime et qui tend à transformer considérablement la conception que nous avons de la culture.

Observons d'abord que la culture littéraire dépend tout naturellement des textes qui nous environnent. Dans un contexte où peu de chansons sont en langue française, l'univers littéraire de l'enfant français manque de sens, et se trouve incapable de nourrir sa propre utilisation du langage. Son vocabulaire n'y trouve pas de quoi se développer, et son esprit n'est pas sollicité. L'altérité n'est ici qu'étrangeté, et si les textes il est vrai ne s'adressent ni à l'intelligence ni à la volonté, ils mettent l'affectivité dans un tel état que l'enfant n'est parfois plus en situation de recevoir un enseignement.

 

Remarquons ensuite que pour des enfants, nombreux, qui passent autant de temps à l'école que devant la télévision, celle-ci prend naturellement un ascendant déterminant. D'abord parce que de nombreuses émissions ou séries de télévision ne fonctionnent que pour « vendre à Coca-cola du temps de cerveau humain disponible »[1]. Miroir tendu à l'individu narcissique, la télé-réalité, par exemple, ne donne pas seulement l'illusion que la réussite ne dépend ni de l'effort ni du travail. Elle enferme proprement l'adolescent dans la vision de lui-même et l'empêche de quitter la toute puissance de l'enfance pour entrer dans l'âge adulte. Ensuite parce qu'elle permet le « zapping » qu'a priori l'école ne permet pas ou ne devrait pas permettre. Ainsi c'est son propre rythme que l'école est invitée à repenser.

Enfin, il ne serait pas inutile de s'interesser à Internet, dont il est manifeste qu'il offre une quantité d'informations et de connaissances qui fait directement concurrence à l'enseignement scolaire. Mais tandis que l'école est censée le distribuer selon un ordre graduel, Internet le livre sans discernement, offrant l'impression que le savoir est à portée du « clic », et surtout l'illusion que l'on peut apprendre sans un maître, par la simple accumulation d'informations puisées ici et là.

Le risque que court une génération sans culture serait de se perdre dans ce monde virtuel qui s'offre à elle sans pour autant la renvoyer au réel.

Sans doute un des grands défis qui vient pour l'école est de reconquérir sa légitimité face à toutes les offres de savoir que présente la Toile, notamment en donnant la culture nécessaire pour ne pas s'y laisser attraper. Cela suppose de repenser les programmes peut-être moins en termes de quantités de connaissances que de capacités à apprendre et à s'adapter à l'évolution des connaissances et des pratiques. C’est là précisément le propre de la culture.

Une erreur serait de croire que, de ce côté, il faudrait exclusivement se tourner vers l’État. Certes, la spécialisation des séries, même générales, du baccalauréat, nuit à cette exigence. Que la série scientifique ne fasse plus de littérature est aussi regrettable que le fait que la série littéraire ne fasse plus de science. Mais aussi bien l’école que les parents devraient rompre avec certaines idées reçues sur la supériorité des séries scientifiques, témoins de ce que l’école est encore trop tournée vers la domination de la nature, et pas assez vers la connaissance de l’homme, laquelle est pourtant essentielle pour que la domination de la nature dont rêve la science ne se transforme pas en un cauchemar d’asservissement de l’homme au progrès technique. Ainsi, il est d’une part nécessaire de rééquilibrer les programmes entre les diverses séries, mais il est aussi indispensable que les parents cessent de croire que les élèves doués doivent tous aller en série scientifique, les autres séries étant dévolues aux élèves inaptes aux sciences. On ne voit pas alors combien les Lettres (on disait autrefois les Humanités, parce qu’on y voyait le moyen de former l’humanité en l’homme), ne méritent pas le caractère optionnel ou marginal qu’on leur donne trop souvent. « Avec un bac S on peut tout faire » signale ce type d’attitude, mais témoigne aussi d’une part combien le volontarisme imprègne l’école, l’État et les familles, mais aussi d’autre part que l’on n’a peut-être pas encore bien aperçu combien la formation humaine était nécessaire non seulement au citoyen et au professionnel, mais aussi tout simplement à l’homme.

Nous espérons avoir posé là des principes qui, loin de clore le débat, peuvent permettre aux trois acteurs essentiels que sont la famille, l’école et l’État, de dialoguer sur la base d’une reconnaissance préalable du rôle dévolu à chacun selon sa nature.

Commenter cet article